Le syndrome de Diogène, éloge des vieillesses Actes Sud
On ne sait pas grand-chose de la « vieillesse », on ne sait presque rien des super-adultes, on sait seulement, mais sans en avoir encore suffisamment conscience, que ce que nous appelons vieillesse est une chose culturellement construite. Cet âge de la vie a très peu été pensé, sinon sous forme d’images d’Epinal, presque toutes négatives et stéréotypées. Il faut donc tout reprendre. De quoi sont faites nos représentations de l’adulte âgé ? Sur quels modèles (à renouveler, à repenser) sont-elles construites ? Dans quelle langue, sur quel lexique reposent-elles ? Par conséquent, de quoi nous servons-nous pour appréhender notre propre vieillissement et celui des autres ? Et si nous n’avions que des idées reçues sur les vieillesses ?
L’avis de l’éditeur
Marie-Catherine Vacher, Actes Sud
La reconnaissance du problème du vieillissement de la population en Occident oblige enfin à sortir des idées reçues sur la vieillesse et à réviser les propos conventionnels sur la beauté, le désir, la sexualité. Régine Detambel convoque ici une intime et longue connaissance du corps, son érudition littéraire et les différents horizons du geste artistique pour montrer, notamment, comment les artistes, en offrant à l’humanité des œuvres majeures conçues dans leur grand âge, nous donnent sans doute, à travers elles, la seule leçon de vie qui vaille.
C’est en écrivain du temps et du corps, c’est en lectrice invétérée – mais que fascine également le geste artistique dans tous ses états – que, sur le modèle de son Petit éloge de la peau, Régine Detambel s’interroge sur le processus du vieillissement, convoquant les données biologiques et les principaux mécanismes responsables du vieillissement dont elle évoque les effets sur l’organisme – citant Colette ou Hermann Hesse en proie aux rhumatismes, Monet aux prises avec la cataracte, ou Renoir frappé d’hémiplégie… Vieillir, en simple citoyen ou en artiste célèbre, c’est devenir vulnérable, courir des risques divers que tente de pallier la discipline médicale relativement nouvelle qu’est la gériatrie. A nos sociétés en quête de stratégies pour limiter les effets du vieillissement, les mythes anciens hantés de fontaines de Jouvence et autres élixirs de longue vie, ne semblent plus suffire et elles ont sans grand regret substitué à la méthode Faust ou Dorian Gray, toute la panoplie de l’hygiène de vie en ses divers avatars, pharmacopée incluse.
Il est vrai que depuis Cicéron et Sénèque, tout à leur noble et philosophique exaltation de la figure du vieux Sage, l’image de la vieillesse s’est passablement altérée, d’autant que la vieillesse heureuse n’est pas donnée à tous. Face à la découverte de sa propre vieillesse c’est l’effroi, la surprise et le scandale : la langue, Régine Detambel le montre, recèle de terribles richesses pour désigner le corps décati des vieillards, stigmatisé dès l’Antiquité par les poètes et dramaturges (Martial, Juvénal et leurs épigrammes ou caricatures au vitriol) puis par la Commedia d’ell’arte (et Molière) suivie de Voltaire ou Gide (entre autres…). Le simple dictionnaire n’est pas en reste. Ce qui n’étonne pas, si l’on considère que dans la littérature (Le Roi Lear) comme dans la vie, la vieillesse est souvent maltraitée : on l’enferme – de l’hospice à la maison de retraite médicalisée. Mais est-il possible de bien vieillir en institution ? Qu’y deviennent les Philémon et Baucis, ou Les Vieux de Brel, avant que la mort ne les sépare ? Question taboue, d’autant que la “scandaleuse” sexualité des vieillards fait toujours, dans nos sociétés, l’objet de moquerie sinon de répression. Pourtant la beauté du corps vieilli existe (qu’on songe aux textes de Beauvoir ou aux “beaux vieillards” : Goethe, Jouhandeau…) et la sexualité des vieillards est évoquée tant dans la mythologie que dans la Bible où Mathusalem, Abraham et Sarah engendrent à plus de cent ans ! Plus près de nous, il faut lire ou relire les “confessions impudiques” des romanciers japonais, Kawabata et Tanizaki, ou l’évocation de la vie sociale des vieillards et leur sexualité, chez des auteurs aussi différents que Alessandro Barrico, Noëlle Châtelet, Alice Ferney,… sans parler des témoignages directs d’auteurs octogénaires : Dominique Rolin, Béatrix Beck, Benoîte Groult.
Dès lors, sans doute convient-il de suivre les conseils, observations et méditations pour une vieillesse heureuse d’un Herman Hesse et d’un John Cowper Powys prônant une vieillesse ardemment créatrice, à l’instar de celles d’un Léonard de Vinci, d’un Goya, d’un Victor Hugo, d’un Claudel, d’un Picasso, d’un Bram Van Velde, d’une Nathalie Sarraute – une vieillesse conçue comme purification du corps et exaltation de l’esprit et de la spiritualité (de Platon à Jouhandeau en passant par Paul Valéry ou Michel Leiris) Et peut-être convient-il, de porter un regard rassurant et rassuré sur ces êtres, « nos semblables, nos frères » qui, en offrant à l’humanité des œuvres majeures conçues dans le temps de leur plus grand âge, nous donnent à travers elles, la seule leçon de vie qui vaille ?
Entretien
Auteur
d’un
essai
Le
syndrome
de
Diogène,
éloge
des
vieillesses
(Actes
Sud,
2008),
Régine
Detambel
nous
fait
partager
son
point
de
vue
et
le
regard
singulier
qu’elle
porte
sur
cette
«
vieillesse
»
trop
souvent
décriée.
Auteur
de
plusieurs
romans,
pourquoi
avoir
choisi
d’écrire
cet
essai
sur
la
thématique
de
la
vieillesse
?
Il
n’y
a
pas
de
rupture
de
ton
ou
de
thème
avec
les
ouvrages
que
j’ai
déjà
publiés.
C’est
un
sujet
qui
me
tient
à
cœur,
que
j’ai
fréquemment
repris
dans
des
essais
ou
bien
dans
des
ouvrages
de
fiction.
Cet
attachement
remonte
à
mes
dix‐huit
ans,
à
l’occasion
de
mes
études
de
kinésithérapie
où
j’ai
été
mise
tout
de
suite
en
immersion
dans
un
service
de
gériatrie
en
long
séjour.
C’était
mon
premier
lien
avec
une
humanité
en
perte
d’identité
et,
pour
ma
formation
romanesque,
cette
période
de
ma
vie
a
été
fondamentale.
Que
vous
inspire
justement
«
cette
vieillesse
»
?
Comment
la
bien
comprendre
?
Il
me
paraît
important
de
comprendre
pourquoi
il
y
a
cette
haine
presque
viscérale
envers
les
personnes
âgées.
Aussi,
c’est
un
amalgame
constant
qui
est
fait
entre
vieillesse
et
mort,
vieillesse
et
Alzheimer,
vieillesse
et
déchéance.
Il
faut
bien
se
souvenir
d’une
chose,
c’est
que
l’on
ne
meurt
pas
de
vieillesse,
mais
l’on
meurt
toujours
de
quelque
chose ! Beaucoup
trop
de
personnes
âgées
se
taisent
sur
ce
qu’est
leur
vie
car
elles
sont
immédiatement
critiquées.
Ce
sont
toutes
ces
choses‐là,
taboues,
rejetées,
qui
me
paraissent
incompréhensibles,
qui
me
poussent
à
écrire
sur
ce
sujet.
De
quelle
manière
avez‐vous
procédé
pour
rédiger
cet
essai
?
Cet
ouvrage
rassemble
toutes
nos
représentations
de
la
vieillesse.
Ce
regard
et
ces
représentations
nous
sont
appris
et
enseignés
depuis
notre
plus
jeune
enfance,
à
travers
les
récits,
mais
aussi
à
travers
notre
entourage.
Bref,
ces
représentations
nous
formatent
et
nous
ne
nous
en
rendons
pas
toujours
compte.
Notre
conception
de
la
vieillesse
n’est
pas
naturelle,
mais
fabriquée.
Il
faut
en
prendre
conscience
très
vite.
J’ai
donc
répertorié,
tout
ce
qui,
depuis
l’antiquité
d’Aristote,
constitue
la
matière
de
cette
représentation.
Cette
culture
ancienne
n’a
jamais
fait
la
part
belle
à
la
vieillesse
et
a
souvent
donné
à
la
personne
âgée
un
rôle
qui
n’est
pas
le
sien
:
être
le
sage
ou
bien
le
fou,
mais
n’être
jamais
sur
un
pied
d’égalité
avec
le
reste
du
monde.
De
la
même
façon
que
les
féministes
ont
travaillé
sur
la
représentation
des
femmes
dans
la
société,
j’ai
souhaité
réaliser
ce
même
travail
de
recherche
mais
pour
les
personnes
âgées.
Dans
le
cadre
d’une
animation
autour
de
la
santé
proposée
par
la
Médiathèque
de
Givors,
vous
allez
animer
une
conférence.
Selon
vous,
qu’est‐ce
que
le
public
doit
retenir
de
votre
intervention
?
La
santé
n’est
pas
seulement
une
santé
physique
mais
c’est
une
santé
tous
azimuts.
L’une
des
choses
à
retenir
est
qu’il
n’y
a
pas
une
vieillesse,
mais
des
vieillesses.
Il
y
a
autant
de
vieillesses
qu’il
y
a
d’êtres
humains.
Tout
le
monde
doit
tenter
de
comprendre
ce
qui
tisse
sa
propre
représentation
de
la
vieillesse
pour
chasser
préjugés
et
stéréotypes.
Ce
qui
je
voudrais
que
le
public
retienne
serait
que
chacun
se
pose
intérieurement
la
question
suivante
:
quelle
est
la
part
du
conditionnement
dans
ma
représentation
de
la
vieillesse,
qu’elle
soit
mienne
ou
étrangère
?
Cela
doit
tous
nous
interpeller
aujourd’hui.
Table des matières
L’ARGUS DE LA LANGUE. — De senex à ganache
Les mots et les choses
La preuve par l’étymologie
Enumérations
Géronte et Vétustilla
Aristote, miroir des humanités
D’une encyclopédie impossible
L’enfance de l’âge
Relativité
ETATS DES LIEUX. — Les corps mûrissants
Infatigables
Avant que s’obscurcisse le soleil
Des humeurs de la vie
Centenaires
Bâtons de vieillesse
A quoi sert de vieillir ?
Le même merdier, à l’infini
LES MIROIRS NOIRS. — Narcisse sous oxygène
Insensiblement
Le mal de l’air
Le nom, le jour
Tain noir
Stèles
Le Carême des souris
Passions dormantes
L’ASSEMBLEE DES SAGES. — L’âge des contemplations
Peau de chagrin
La méthode du docteur Cato
Programme d’entraînement cérébral
Prendre le soleil
Savoir tout recommencer
Toujours utiles
Les jeunes explorateurs
LA NEF DES FOUS. — Les immémoriaux
Harpagonneries
Perroquets et ritournelles
La très jeune Parque
L’invention éponyme d’Aloïs Alzheimer
Foirades
COMMENT VIVRE ENSEMBLE ? — Parfois des lits indignes
Le cocotier ou Comment s’en débarrasser
La goutte d’eau
N’épouser rien que soi
Intimités
J’oignais ma mère
La fin du monde
SPLENDEURS ET MISERES DU MASCULIN — Le démon de midi
Spermatogenèse
L’âge heureux de l’impuissance
Les pieds de Satsuko
REGRETS DES BELLES — Le sang retourné
Comme une flore, comme un zoo
Faire la morte
Baubô
LES VENTRES LUMINEUX — Noces de chêne
Une belle vieille
Les noces du chêne et du tilleul
STYLES TARDIFS — Vieillir en création
L’homme qui plantait des arbres
La vespérale
L’œuvre ultime
Falstaff et les vieillards
Un monde en chaussons
Bibliographie
Référence des citations
Ouvrages de l’auteur abordant les mêmes thématiques
Le long séjour (Julliard, 1991)
Pandémonium (Gallimard, 2006)
Noces de chêne (Gallimard, 2008)
Dit par l’auteur