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Blasons d’un corps enfantin

Blasons d’un corps enfantin

Blasons d’un corps enfantin est paru en 2000 aux éditions Fata Morgana.

L’avis de l’éditeur
Ce récit paru à nos éditions en 2000, forme un dyptique tant du point de vue de la forme que de celui des thèmes abordés avec Les enfants se défont par l’oreille. Jeunesse et souffrance s’y entremêlent et l’orgueil têtu de l’enfance y est mis à l’épreuve par le souvenir lancinant et délicieux d’un jeune corps endolori. Ces vingt-quatre blasons – parmi lesquels l’éraflure, l’ampoule, la bosse ou le bleu –, considérés à la fois comme boucliers et comme parures, se présentent comme la manière empirique de rencontrer «l’angle rugueux du monde» et de garder en sa chair le souvenir de leçons impitoyables. Ainsi est «fondé» l’enfant par l’univers, il est « façonné », prend corps.

Présentation
"Quand l’enfant tombe ou se cogne, chacune de ses rencontres blessantes avec l’angle rugueux du monde porte un nom. Et qui voudrait dresser une liste de l’ensemble de ces confrontations et de ces retrouvailles courrait le risque heureux de composer une litanie, les termes liés d’un très long charme. 
Si j’ai utilisé le terme de blason, c’est que l’étymologie lui donna d’abord le sens de bouclier. Les tortues seules ont reçu en naissant une sorte de domicile durable, écrivait Buffon. Donner la description de cet écu qui tient lieu de sauvegarde et de vivante protection à l’enfant est le but que j’ai souhaité atteindre. 
Tout ce qui touche au bouclier tremblant de l’enfant, tout ce qui le meurtrit réellement, ses souffrances, son aplomb, ses bondissements malheureux, tous ses gestes déchirants, j’ai désiré les rejouer. Le piètre malheur de l’égratignure, le petit trou en forme d’étoile qui constitue l’écorchure, la figure virtuose et mathématique de l’éraflure, la trajectoire accidentelle de la coupure, l’ampoule qui est une hutte de peau et le bouton de moustique érectile et délicieux, la fente vive de la gerçure, le bleu, la flamboyance de la bosse, le chuintement de la morsure, la brûlure et sa paille de fer, la langue mordue, la seringue, l’aphte, l’écharde, le pus, les points de suture, le coup de soleil, le durillon et le bouton de fièvre, sont le lot rude et perçant de toutes les enfances. Ils nous ont fondés, ont gravé, pour chacun d’entre nous, leur histoire dans notre peau, dans les muqueuses de nos lèvres, dans les étages superficiels et profonds de notre chair, et nous ont lentement façonnés puis passionnés jusqu’à la jouissance." R.D.

Extrait
L’éraflure ou l’impuissance d’être flèche
L’enfant a l’appétit des brisants et des coupants. Les sparadraps, la gaze, le coton forment son linge intime de jeune fille. Et comme une jeune fille, en effet, il est possible que sa peau crie sans cesse aux écorces, au crépi, à la ronce et aux barbelés, saisis-moi au passage, ne me laisse pas au rebut. Et à l’épingle, au clou, au bois qui n’est pas limé, j’ai besoin d’attirer l’attention avant de retourner en poussière, si tu me faisais cadeau de temps en temps de quelque chose de coloré, en soie, même seulement un petit carré, tu me ferais un honneur particulièrement remarquable. Voilà pourquoi l’enfant porte une peau radieuse et absurde de papillon, avec ces mêmes taches et ces mêmes macules que l’œil peu exercé prendra pour une irritation illogique et momentanée.
La plus virtuose des figures qui puisse se voir sur la peau d’un enfant est l’éraflure. Marcher dans de hautes herbes sèches suffit en général pour que surgissent sur le mollet, comme d’un mur à décorer, de larges courbes sinueuses et balancées. Mais si l’on y regarde mieux, si l’on tâche du regard à démêler les lignes pour rendre à chaque pointe son ouvrage, alors l’éraflure est toujours une forme seule et dressée.
L’éraflure est un être mathématique. Elle est une ligne active, prenant librement ses ébats, avec une direction et une amplitude. Le long de cette ligne, des points plus profonds, répétitifs, donc plus puissamment colorés, donnent le rythme, mais jamais plus rapide que les battements de jambes d’un nageur.
L’éraflure est toujours grêle et mince, aux bords à peine déchiquetés, elle ne forme pas surface comme l’égratignure, elle n’est presque jamais triple ou quintuple comme la griffure. Elle ne coule pas, à peine si elle suinte, même fraîche. De fait, elle ne se charge jamais, en guérissant, d’une croûte épaisse, cette belle patine des sucs qui va, selon les sangs, jusqu’à l’acajou.
L’éraflure ne se lèche pas. Elle semble une image déjà lointaine, qui n’aurait pas été calculée, filiforme et fragile, sans rien de pulpeux, comme une rafle de raisin, la rêverie légère et fascinée d’une épine qui s’est posée puis retirée d’elle-même, parce qu’elle n’avait ni puissance ni portée, qu’elle était captive et sans espoir d’ascension, bref, dans l’impuissance physique d’être flèche.
Régine Detambel © 

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2024-10-11
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